Nous avions laissé Marcelino, après un départ aussi truculent que tonitruant du Puy en Velay, sous sa tente de cyclo-campeur. Cahin-caha, un pas en avant et deux sur les côtés, il avait commencé sa route de pèlerin.

Muni du « créanciale » délivré aux pèlerins et de la carte de route fournie par le Groupe des Cyclotouristes du Puy, il avait l’esprit fort, du genre « Plus près de toi, mon Dieu ». Mais sa chair est faible.

25) Alors le solitaire fait des vers : « Je promets … d’aimer ma prochaine » qui ne riment à rien. Et qui ne sont même pas bibliques car Dieu ne s’est pas fait Femme !

Ce reportage, comme le pèlerinage, serait-il mal re-parti ?

26) Surtout ne pas désespérer, même quand un arbre se meurt ! Reprenant son « créanciale » (sorte de laisser-passer), comme d’autres leur bâton, Marcelino affronte la montagne dont chaque caillou représente l’un de ses péchés.

27) En cela, il est encouragé par ceux qui lui souhaitent bon courage. Ainsi ce cyclo de Taintignies, qui a reconnu son maillot Audax Tournai, et qui est en vacances dans le Quercy à Castelnau-Montratier : « Sympa, ce mec ! », pense Marcelino qui ne va pas pour autant se détourner du droit chemin.

28) En revanche, cette « pèlerine » va lui donner prétexte à visiter Moissac. Selon le proverbe : « Lou que n’a pas bist aco, a pas bist re » soit : « Celui qui ne l’a pas vue, n’a rien vu ». Rappelons à Marcelino que ce proverbe est à propos de Moissac, étape incontournable sur le chemin de Saint Jacques.

29) Dans la vallée du Tarn, le cloître de Moissac, terminé en l’an 1100, est l’un des mieux conservés avec quatre galeries d’une quarantaine de mètres et 116 colonnes surmontées de 76 chapiteaux.

30) Notre Marcelino s’émeut de la beauté des sculptures des scènes bibliques invitant au repentir. C’est la preuve que chez le pire libertin, mécréant et brute il y a place pour un reste d’humanité, de foi et de sagesse …

31) Moissac, que l’on atteint par trois « camis roumious » (chemins de pèlerin), c’est aussi l’abbatiale d’art roman dont le portail est pure merveille.

Le tympan présente un Christ en majesté entouré du symbole des quatre évangélistes (dont le lion pour Saint Marc-el, …).

32) Regonflé à bloc, notre « jacaire » poursuit sa route. Il est désormais plein de prévenance. Rencontrant un couple d’Anglais qui suivent les canaux pour traverser facilement la France dans sa moins grande largeur, il prêche : « Quoique vous rouliez, Dieu vous bénisse, ainsi que la Reine ». Un illuminé ?

33) A Merle il s’arrête, comme Henri IV qui fit ripailles et bombance là, le 10 Juillet 1579, pour entrer en méditation sous le chêne et près de la claire fontaine. Un saint ?

34) Même qu’il décide de loger chez René et Eliette Bedel, des cyclos exemplaires qui ont fait le Tour de France Randonneur et qui tiennent Chambres d'hôtes du côté d’Auvillar. Un sage ?

35) Quel retournement de situation. Marcelino débarque, en soirée, à Saint Jean Pied de Port. Son chemin français va se terminer en pleine sérénité car le voilà au pied du passage (Pied de Port) des Pyrénées.

Mais attention au démon de minuit ! Vous avez bien vu … deux ombres sur le pont !!

36) Et, le lendemain matin dans les rues basques de Saint Jean, ce sont bien deux vélos de pèlerin qui sont enchevêtrés.

37) Il et elle (une hollandaise) ont commencé par échanger leur GPS : « S’ils sont de la même marque, c’est que nous avons les mêmes goûts ! ». Et puis, ex abrupto, Marcelino lui a parlé de sa « casa » …

38) Dérapage seulement passager car la montagne, le col Ibaneta avant Roncevaux, a séparé les voyageurs. Pas assez rapide, elle est restée derrière, et de plus en plus loin.

Or ils avaient oublié d’échanger leurs GSM.

39) Et voilà donc l’entrée sur le « camino » espagnol des pèlerins pédestres : au milieu des vignes entre les collines.

40) Pour les cyclistes, il y a le choix entre le tarmac et la cendrée. Marcelino laisse le vent favorable au tandem et se couvre de cendre sur la piste balisée.

41) Bien avant l’inoubliable Burgos, superbe et religieuse étape à Leon (accent sur le o), dans la province espagnole du même nom.

42) Plus que 497 km, … La mi-chemin est largement dépassée et la conversion déjà bien avancée.

Voir la coquille Saint Jacques du pèlerin.

43) D’ailleurs on trouve toujours plus fou que soi. Ainsi ce cycliste Autrichien qui promène son drapeau et son cor des Alpes dans la remorque.

44) Longue ligne droite monotone en cette partie de plaine immense …

L’impression d’être seul au monde.

45) Et puis revient le relief avec des grands travaux pour faciliter la circulation d'un pays modernisé. Aubaine pour le cyclo qui, sur l’ancienne route, restera à l’écart du trafic intense.

46) Mais qui voilà ? Les deux cyclistes qui ont doublé en trombe Marcelino sont arrêtées au sommet.Elles ont sorti les cotillons qui étaient enfouis dans le pantalon !

Et tout cela devant notre Marcelino incrédule, juste au moment où il redevenait croyant.

47) Les présentations sont vite faites : « Moi Marcelino, Audax Tournai en quête de Foi ! » - « Moi Catherine, couvent des Ardennes belges Témoin de la Foi !! »

Un signe du ciel, non ?

49) Hélas, et pas une fois seulement ! La nonne loge, chez des consoeurs espagnoles, … au Mosteiro de Samos.

50) Alors, Marcelino qui ne veut pas prendre l’habit d’un moine, se contente d’une petite chapelle.

Le calvaire grandit d’un nouveau caillou et le chemin continue.

51) Si vous avez déjà pèleriné jusqu’à Compostelle, vous savez que l’Alto de San Roque (1270m) c’est le dernier sommet avant Santiago. Le pèlerin arrive au terme du Camino.

52) Le cyclo Marcelino aussi donc, car désormais il suffira de 7 km de descente.

53) Le site du Monte del Gonzo est d’autant plus fréquenté qu’on y a construit un monument rappelant le pèlerinage du pape Jean Paul II (quelques mètres seulement !) en ces lieux, en 1984.

54) Voilà, enfin mais encore au loin, les flèches de Santiago. Le pèlerin entre en transe.

55) Puis c’est le parvis de l’ensemble monumental où l’on célèbre l’apôtre Jacques dont la dépouille serait arrivée, par la mer, jusqu’en Galice.

56) Au terme du chemin, la première prière des pèlerins c’est d’obtenir leur « Compostela » : Marcelino dirait l’homologation de son brevet de cyclo-pèlerin.

57) Et sur la place il n’y a plus d’autres dieux … que Dieu … et lui-même !

58) Retour, alors, à la vie très ordinaire du cyclo-campeur qui carbure au gros rouge et qui loge à « l’Etoile des Champs » (Compostelle), désormais sous la protection divine.

59) Alors au bout de la terre, tel le moine Abélard (*) amoureux de la jeune Héloïse, il songe à ses amours impossibles.

(*) 1079-1142, Fondateur du Paraclet et auteur de Historia Calamitatum, tout un programme.

60) Mais si Abélard fut castré (eh oui, plus de bourses !), Marcelino décida de tout quitter (eh oui, à poil !) et de se jeter dans l’Océan (eh oui, profond !).


Par chance, … c’était marée basse !

61) Aujourd’hui, revenu avec sa « compostela » homologuée, il a retrouvé compassion, sagesse et fidélité puisqu’il chante en roulant : « Au ciel, au ciel, au ciel … j’irai « la » voir un jour. »